Le vieux serviteur se leva de sa pierre pour un des multiples besoins pressants qu'il assouvissait quotidiennement. Des ces nécessités bien plus fréquentes que par le passé, lorsque la verve ne dépassait que très rarement la fougue de ses conquêtes.
Il pris donc place près d'une vieille trique qui le soutint le temps de sa reposante miction.
Le débit du Rhône n'a qu'à bien se tenir, pensa Vestric. Le dru et flavescent jaillissement atteint bien vite les feuilles basses du chêne vert dans le soleil couchant. Les reflets mordorés se volatilisaient au contact du malheureux arbre.
Et dire que certains ont de l'or dans les mains...
Arcbouté dans ses derniers efforts prostatiques et sous le coup de sa faible vision imputable non seulement à son âge mais également au choc avec une épée adverse qui lui avait ôté son oeil, Vestric ne remarqua pas les signes avant-courreurs du changement qui se passaient devant lui.
Après leurs explosions sur la frondaison, les vapeurs d'ammoniac concentré se reformaient en perles fauves et suivaient le plus court chemin jusqu'à la terre sèche de ce début de janvier.
Et tout en sautillant de feuilles et feuilles, de branches en branches, les perles prirent une couleur tout d'abord ambrées, puis cuivrées. De ce cuivre grenat dont on orne les armes pour qu'elles soient reconnaissables entre toutes.
De grenat, les perles se transformèrent en larmes écarlates sous l'effet d'une concentration au fur et à mesure qu'elles courraient vers le bas de l'arbre.
Chutant de plus en plus nombreuses, les larmes empourprées atteignirent enfin le sol. Ce sol, meuble et gris, ne semblait pas avoir la même soif que naguère car le liquide émanant de la vessie vestricale resta en surface quelques secondes avant que de s'envoler dans une nuée verte et bleue...
C'est à se moment que les sens de Vestric furent pris de branle-bas. Cette panique qui glacent les sangs et les envies les plus refrénées que l'homme gardent au fond de lui.
Les mouches, perturbées par les émanations amoniacales avaient quitté leur putride nid en y laissant les jeunes esches à leur repas morbide.
Une verge à la main, après avoir remailloté ses braies, Vestric écarta les brachypodes séchés par l'hiver. Sous son unique oeil, se découvrit ce qui restait d'un corps humain.
La décomposition était largement commencée mais les traits du jeune homme étaient toujours discernables.
Inconnu pour Vestric, mais sur les terres de son Maître, un homme était mort... Et vraisemblablement dans d'atroces douleurs selon les larges plaies de près d'un pouce chacune.
Quatre blessures profondes semblables partaient de gauche à droite, de son cou frêle pour terminer sur son abdomen gonflé par les gaz intimes.
Un bras gisait à quelques pas, apparemment arraché par une morsure phénoménale.
La tripaille joyeuse se trémoussait sous les déplacements ondulatoires des asticots joueurs.
C'est alors que Vestric débagoula son repas sur les pieds du pauvre hère ; un reste de fromage de chèvre et une lampée de vin aigre vinrent s'ajouter aux effluves de la charogne.
(à suivre...)